Au sein du malheur, les mennonites qui survivent font différentes tentatives pour s’adapter à une situation dont ils ne savent comment elle évoluera. Plusieurs solidarités s’organisent, insuffisantes et parfois dangereuses.
1.Organiser une défense paramilitaire mennonite?
Pour se protéger, l’idée d’une force para-militaire mennonite (Selbstschutz) s’impose progressivement. Inspirée par l’armée allemande, qui occupe l’Ukraine après le Traité de Brest-Litovsk jusqu’en novembre 1918, elle reflète une « militarisation des consciences » ainsi qu’une réponse spontanée à la peur. Des groupes se forment en solidarité avec d’autres colons Allemands, luthériens ou catholiques, bien que des voix s’élèvent pour appeler à la repentance et faire prévaloir la tradition de non-résistance. Mais l’opinion mennonite est favorable à une Selbstschutz. Pour éviter une division, les responsables convoquent une conférence à Lichtenau, du 20 juin au 2 juillet 1918. Ils concluent que : 1/ chacun peut interpréter personnellement ce qu’implique la non-résistance ; 2/ la « non-résistance » est l’idéal chrétien le plus élevé mais on ne peut l’imposer. Tant que les Allemands seront présents, la Selbschutz n’aura pas de réelle importance ; quand ils se retireront, les mennonites traverseront une période de terreur pendant laquelle la Selbstschutz obtiendra quelques succès. Mais sur le long terme, elle s’avérera nuisible : les Russes blancs l’utiliseront contre l’Armée rouge, désignant les mennonites comme éléments contre-révolutionnaires, et ses interventions amèneront des représailles, dont l’une des plus marquantes sera le massacre de Blumenort, en novembre 1919.
2.Solidarités locales, solidarité mennonite internationale
Les gestes individuels, au sein des communautés, sont nombreux : l’un partage ses champs avec une famille qui n’a plus rien, l’autre prend en charge les enfants de parents déportés, une famille cache un prédicateur recherché… Malgré leur précarité, les membres de l’Eglise de Rudnerweide (Molotschna) subviennent aux besoins de leur Ancien Abraham D. Nickel, tombé malade, perclus de rhumatismes, privé de ses biens et de ses droits par le gouvernement[3]. La famille Wiebe de Muensterberg (Sagradowka) est avertie et cachée par une famille russe voisine, juste avant que le village ne soit massacré par les hommes de Nestor Makhno[4]. Les anarchistes, qui traquent les Allemands, fouillent à coups de sabre les meules de foin où la famille Wiebe s’est réfugiée ; lorsqu’ils se retirent enfin, Heinrich Wiebe a été poignardé en plusieurs endroits sans lâcher un cri, pour ne pas trahir la présence des siens.